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Les Cinq Jours du Renouveau

Les Cinq Jours du Renouveau

Légendes du Chaos d'Ogrest

Après le Chaos d’Ogrest, le monde était dévasté. Plus une fleur ne poussait, plus un bouftou ne broutait, et les survivants étaient désemparés. Nous étions sortis, nos vivres s’étant amenuisés jusqu’à devenir inexistants, portés par la perspective de retrouver notre chez-nous bien aimé. Mais c’est un paysage désolé qui s’étendait alors sous nos yeux, tout avait été rasé, emporté par les flots. Les eaux en se retirant avaient laissé le sol stérile, craquelé, vidé de toute vie. La violence du cataclysme avait brisé les terres qui s’étaient éparpillées, morcelées. Et tout autour des miettes de continents, une mer nocive, une mer qui sous ses apparences calmes avait pris tout ce qui nous était cher.

Nous avions perdu espoir, retournant nous terrer dans nos galeries et nos rochers, à l’abri de l’insoutenable vérité, attendant impatiemment la mort. À quoi bon être vivant dans un monde dévasté, abandonné, à la merci des larmes de l’Ogre.

C’est à ce moment-là que les dieux ont choisi d’agir.

Osamodas et Sadida, dieu des bêtes et dieu des plantes, se sont alliés afin de nous donner une seconde chance. Ils ont décidé de reconstruire le monde en une semaine. Ils allaient nous donner les ressources pour un nouveau départ.

Les lundi, mardi et mercredi, Osamodas a repeuplé le monde de créatures diverses et variées. Il les assemblait la journée, patte après patte, aile après aile, lustrant leurs carapaces et colorant leur pelage selon ses envies. Le soir venu, il arpentait le Monde des Douze, laissant ses empreintes géantes dans la poussière stérile. Il prenait alors ses animaux entre ses griffes, et les posait délicatement sur le sol, comme des figurines fragiles et précieuses. Pendant trois longues nuits, Osamodas créa une multitude de scènes inanimées avec ses monstres.

Sur terre, il posait les bouftous, petits et laineux, les scarafeuilles près des volcans éteints, il modelait des entités à partir de ce qu’il pouvait trouver : de la boue, toujours de la boue. Comme des golems dépourvus de volonté, ses sculptures parfois abjectes étendaient leur ombre sur les plaines ravagées. Parfois, il formait des œufs attendant d’éclore, et les cachait dans les recoins du monde, protégés, à l’abri de la colère et des éléments.

Sous la mer, plongeant dans les eaux inhospitalières, Osamodas déterra des coquillages, et les bourrant de sable, il créa les kaskarmoules. Nés des bulles créées par l’animal gigantesque se mouvant dans les eaux magiques, les pichons se formèrent et tombèrent au fond des océans, attendant de pouvoir agiter leurs nageoires pour chevaucher les courants. L’eau étant froide, Osamodas éternua, et ce qu’il se déposa au fond des abysses allait donner naissance aux kralamours, créatures molles et invertébrées aux membres multiples.

Dans le ciel, le dieu des bêtes accrocha des oiseaux, des créatures ailées habillées de ses propres poils comme plumage, suspendues par des fils de lumière à la voûte céleste, son souffle les faisant osciller doucement comme des pendules lunaires.

À l’aube du quatrième jour, fourbu, Osamodas rugit et le monde s’éveilla. Les figurines se murent, s’étirèrent de leur sommeil factice, comme une maison de poupée qui magiquement prend vie. Les cœurs se mirent à battre, et revint le mouvement.

Sadida, de son côté, était censé faire pousser les plantes et replanter des arbres, mais il s’avère qu’il avait siesté tout le début de semaine.

Le jeudi, se réveillant alors que le soleil était déjà haut dans le ciel et plein d’énergie, Sadida a pris une pleine poignée de graines qu’il a confiées au vent afin de les disperser partout dans le monde. Puis il a pris ses ciseaux affûtés, et coupant une à une des mèches de ses cheveux, il les a plantées et des forêts ont émergé de sous la croûte terrestre. Comme des montagnes s’élèveraient du sol, les troncs titanesques se pressaient entre eux, formant des masses d’un vert profond sur tous les continents.

Sadida a ensuite soufflé sur le monde, et son haleine humide a fait proliférer la mousse, l’herbe, et toutes ces petites plantes qui rendent le monde plus doux. La terre, grise et morne, s’est parée d’une multitude de nuances de vert, du plus éclatant de la plus jeune pousse au vert sombre du lichen mystérieux grimpant silencieusement le long du tronc des arbres. La marée verte a recouvert le monde, comme une nouvelle peau qui se serait ancrée sous la désolation, sous l’infertile pour puiser l’énergie de la renaissance dans le cœur du Monde des Douze, la planète gorgée de Wakfu. La planète qui voulait vivre.

La magie de Sadida sur ce qui est végétal n’ayant pas de limites, le dieu a créé toute une flore sous-marine, des algues nonchalantes s’agitant au gré des flots calmés jusqu’aux coraux agglutinés pour former des reliefs oniriques dans les abysses transpercées de rais de lumière.

Le vendredi, le dieu a fait une balade dans le Monde des Douze, durant laquelle il a murmuré des paroles aux plantes alors naissantes, et ces plantes ont éclos en des dizaines de fleurs aux couleurs chatoyantes, parant le monde d’une myriade de touches vivides. Flattant les fleurs une à une, il leur donnait les teintes qui lui chantaient. Les fleurs les plus timides étaient bleues, les plus humbles étaient blanches, les fleurs rebelles devenaient rouges et les optimistes jaunes. Les fleurs dangereuses devenaient violettes et noires, et les fleurs craintives étaient vertes.

Dans la nuit du vendredi à samedi, Sadida a levé les yeux vers les étoiles, et les trouvant si belles, il décida de s’arrêter dans sa tâche pour les observer plus longuement. Alors qu’il commençait à façonner une fleur aussi brillante qu’une étoile, il s’assoupit.

Et c’est ainsi que Sadida termina sa floraison du monde.

À l’aube du sixième jour, un soleil timide chatouilla le dieu endormi, l’incitant à rejoindre les autres dieux dans l’Ingloriom. Alors qu’il s’élevait vers les cieux, Sadida soupira lourdement. Le vent créé par la divinité commença timide, puis s’enhardit, la brise galopant entre les feuilles et les troncs, faisant bruisser les branches, le halètement se muant en tonnerre faisant vibrer la planète tout entière. Intimant sa mélodie à tous les végétaux créés, le monde se mit à chanter en unisson avec la voix du dieu, créant une mélopée grave et riche, à la fois unique et multiple, rassemblant dans un tout les créations d’Osamodas et de Sadida. En entendant le concert de la nature, les animaux donnèrent de leur voix et s’ajoutèrent au cycle du monde, faisant résonner la terre jusqu’à ses entrailles d’une chanson si belle et si pure que les Douziens n’ont pas pu l’ignorer.

Sortant de leur repaire, des disciples de toute foi virent le travail qu’avaient accompli les dieux. Leurs cris de joie, leurs larmes, leurs rires se mêlant au reste, ils se sont accordés au diapason du monde, complétant cette nouvelle harmonie.

Du haut de leur dimension, Sadida et Osamodas regardaient avec tendresse leurs créations et leurs disciples s’allier pour donner l’étincelle finale qui allait permettre au Monde des Douze de se relever.

Les efforts des deux dieux ayant duré cinq jours au lieu d’une semaine, ceux-ci furent appelés les Cinq Jours du Renouveau.

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Ce texte de background a été écrit pour le Gamakna Hors-Série sur le background, et peut être retrouvé ici : Gamakna : Les Cinq Jours du Renouveau